René Vauléon est bénévole à la Fraternité Paris Ouest des Petits frères des Pauvres. Ce Breton de 63 ans accompagne de grands malades, anime un atelier « Dessin et écriture » quand il ne prend pas la responsabilité d’un séjour de vacances. Portrait d’un bénévole dans ses œuvres.Penché sur Marcelle*, 98 ans, René tombe la veste. A l’intérieur de l’hôpital Rossini, la chaleur règne été comme hiver. Elle pose sa main déformée dans la sienne. René, barbe poivre et sel proche de son visage répète pour la énième fois son prénom. Rappelle sa visite hebdomadaire depuis deux ans. De nouveau elle demande pourquoi elle est dans un bateau et ne cesse de l’appeler madame. La mémoire passoire de cette fillette égarée témoigne d’absences de repères et de bizarreries comportementales, dégradation qui l’empêche de reconnaître les lieux et les personnes. Mais Marcelle est toujours une femme par sa voix, ses rires et sa quête d’amour inépuisable. Lorsque nous pénétrons l’espace de vie habillé de verdure, elle est assise dans un siège baquet pour ne pas glisser, face à une baie en demi-lune ouverte sur la nuit de janvier. Malvoyante, elle mange son flan lorsque René l’émiette comme on le fait aux enfants. Ses lèvres disent sa colère « d’avoir travaillé toute sa vie pour finir comme ça ». « Vous n’avez pas tout mangé, c’était bon ? » « Qui êtes-vous ? » « René, un petit frère. » Collé au fauteuil pour qu’elle le distingue, il caresse son poignet. Parle avec régularité. « Vous avez travaillé comme couturière toute votre vie, c’est normal de vous reposer. » Ses paroles stimulent la nonagénaire dont les réponses fusent. Son débit s’accélère. Elle pouffe : « Ici, c’est Paris ? » Il l’accepte comme elle est dans sa déchéance. Partager sa souffrance c’est l’alléger un peu sans omettre le langage du cœur et l’humour. « J’aime votre rire. Dans deux ans on fera la fête pour vos 100 ans ». Quand vient le départ, Marcelle cramponnée à René semble ne vouloir vivre que pour le retrouver la semaine suivante. « A mardi ! J’apporterai des petits chocolats ».
Plus loin, Lazar*, 74 ans, victime d’un AVC il y a dix ans ne parle quasiment plus, ne marche pas. Son sweat-shirt laisse voir sa main gauche tordue. Dans un galimatias, il dit « aimer cocolât. » René lui glisse quelques ganaches et actionne la télécommande du lit avant qu’il ne s’étrangle goulûment. Quand le Yougoslave embrasse les doigts de son bienfaiteur en signe d’adieu, René s’éclipse, un « merci visite » comme viatique. A l’étage, Paul*, ancien chef de bureau de presse en Chine**, retraité de l’AFP depuis dix-huit mois lit National Geographic. Aux premiers mots syncopés succèdent des phrases. Atteint récemment par la maladie d’Alzheimer, ce journaliste balèze évoque avec René la situation politique tunisienne : « Curieux cette révolte avec des bâtons, les Tunisiens sont calmes, les Algériens plus bagarreurs.» « A la semaine prochaine » lance-t-il à Paul, « ravi de sa venue » lorsque l’arrivée des soins met fin à l’entrevue.
Avant ses visites, ce Rennais dont on devine les muscles de marathonien confie compléter sa formation à Paris V Sorbonne Nouvelle comme auditeur libre en psychologie et philosophie : « très utile pour commettre moins d’erreurs ». Son goût pour les gens de la rue remonte à l’adolescence. Membre du Cercle Paul Bert, il effectuait des maraudes auprès des clochards tout en s’intéressant aux deux miséreux qui investissaient le restaurant familial. Ce cadre supérieur dans une grande entreprise mis en pré retraite à 57 ans a décidé en 2005 de mettre à profit son temps libre comme responsable de séjours vacances à l’association. « J’ai accompagné les gens de la rue à Vertou, près de Nantes. Ils sont attachants. Il faut leur laisser la bride sur le cou sans qu’ils s’en aperçoivent, composer avec eux : ce sont comme des copains pendant quinze jours, en pleine forme ou presque avec des soucis d’alcool, de jeu, de tabagisme. On n’est pas là pour interdire. Mais pour les aider à moins penser à leur sort. M’associer à l’implantation précarité du 18e m’a semblé une évidence. » René a encadré sept séjours de vacances en y organisant des sorties, tel ce concours d’attelages à l’hippodrome de Cabourg. « C’est primordial de leur faire découvrir d’autres univers. Ils nous apprennent tellement plus que ce qu’on leur donne : la modestie, l’humilité, et à relativiser. Tristes au départ, ils se métamorphosent au fil des jours. C’est fantastique de les voir revivre. C’est comme les malades de Rossini. Je ne pourrais pas ne plus les voir. J’apporte chaleur et écoute. Ils sont moins isolés. Je les fais rire. Parfois on ne peut pas. Atteints de maladies irréversibles, lorsque les enfants ne viennent plus, ils ne veulent plus se souvenir d’eux, c’est trop douloureux. Quand ils sont au bout du chemin, je le sens. Ils deviennent distants, mutiques. Ils en ont peut-être assez de cette bribe de vie.»
Le nouvel espace d’animation à destination des personnes accompagnées du 18e arrondissement, le Petit Friand, dont la mission est de lutter contre l’isolement permet à notre bénévole d’animer un atelier « Expression par le dessin et l’écriture ». L’occasion de redonner confiance à Jean*. L’ex architecte à l’origine des plans de La Villette s’est porté volontaire pour faire bénéficier de son talent, les gens qui fréquentent le lieu.
Une femme à la cafétéria de l’hôpital le remercie « pour sa grandeur d’âme » qui l’amène à saluer son père lorsqu’il le croise. Allusion à l’octogénaire à l’élégance toute britannique atteint d’Alzheimer devenu transparent au reste du monde. Et René de conclure : « Il faut donner quand on peut donner. Un jour nous aussi on aura peut-être besoin qu’on nous donne. »
Catherine Bretécher pour les Petits frères des Pauvres
* Son prénom a été changé
** Le lieu a été modifié.