Quand des bénévoles apportent leur regard extérieur

« Se rendre utile », c’est ce qui conduit certains bénévoles à vouloir mettre leur savoir-faire à disposition d’une association le temps d’une mission. À l’heure où les associations ont à faire face à de nombreux changements, cet apport ponctuel de compétences pointues peut s’avérer très utile et permettre à certaines de passer un cap dans leur développement. Pour comprendre les ressorts de ce bénévolat de compétences et ses effets sur les structures accompagnées, Le Mouvement associatif a interrogé Elizabeth Pacaud, référente vie associative à France Bénévolat, et Patrick Bertrand, président et fondateur de Passerelles & Compétences.

 

En quoi le bénévolat de compétences est-il un outil d’accompagnement des associations dans les changements auxquels elles doivent faire face ?

Elizabeth Pacaud : Les associations doivent faire face à de nombreux changements : évolution de leurs modèles économiques, transition numérique, évolution du cadre légal et des moyens de communication. Cette adaptation aux changements est nécessaire pour exister. Encore faut-il que les associations aient conscience de la nécessité du changement ! Cette prise de conscience n’est pas le plus difficile, c’est le passage à l’acte qui est problématique. Face aux résistances au changement, il faut mener un travail préalable pour rassurer avant de faire appel aux compétences internes ou externes pour les accompagner. Le bénévolat de compétences vient en complément des bénévoles réguliers pour apporter une expertise spécifique externe à un moment donné. C’est un bénévolat attractif : il est simple et plus souple que le mécénat de compétences qui est défini dans un cadre strict (nombre d’heures ou de jours dédiés).

Patrick Bertrand : Les associations sont soumises à de fortes tensions : besoins sociaux croissants, désengage-ment des pouvoirs publics et diminution des ressources, contraintes normatives de plus en plus complexes. Dans ce contexte, les bénévoles peuvent apporter aux associations leur regard neuf et bienveillant et/ou leurs compétences. Ils aident ces dernières à relever certains défis et les accompagnent dans leurs évolutions.

Passerelles & Compétences démultiplie aujourd’hui des modalités de bénévolat de compétences, qui n’existaient pas il y a cinq ans. Par exemple, le bénévolat de mission lorsqu’une association identifie un besoin de compétences et est mise en relation avec une personne correspondant à ces compétences. Cette démarche de-mande une réflexion stratégique préalable.

Il y a aussi le bénévolat d’accompagnement lorsqu’un bénévole accompagne une association sur une longue période, avec un rendez-vous par mois permettant à l’association de poser des questions et de prendre du recul. P&CClic permet à une association d’avoir accès à une compétence précise d’un bénévole à distance au cours d’échanges téléphoniques. Enfin, la bourse aux experts consiste en une journée thématique où les associations peuvent rencontrer, par créneau d’une heure, des experts présents qui débroussaillent leurs problématiques. L’association Probono et Passerelles & Compétences ont aussi développé le bénévolat « marathon » : pendant une période qui va d’une demi-jour-née à une journée, une équipe de quatre à cinq experts est mobilisée pour travailler sur une problématique identifiée par une association. Chacune de ces formes de bénévolat de compétences est clairement un outil d’accompagnement aux changements.

 

Quels types d’associations font le plus appel à ces dispositifs ? Pourquoi ?

EP : Pour France Bénévolat, ce sont principalement des petites associations de tous les secteurs qui font appel à des compétences spécifiques pour épauler leurs équipes en place. Les associations plus importantes recourent da- vantage à Passerelles & Compétences ou à l’association Pro Bono. Certaines associations préfèrent passer par les compétences des bénévoles en interne, « quelqu’un de la maison », car il est préférable de connaître le réseau et la culture de l’association pour mettre en place des dynamiques de changements.

PB : P&C intervient auprès de tout type d’associations de solidarité aussi bien locales, majoritairement de pe-tite taille, qu’auprès de grandes associations. Les com-pétences les plus demandées concernent la communi-cation/marketing/graphisme (1/3 des demandes), la stratégie/organisation générale (1/5), puis viennent les ressources humaines, la gestion de projet et l’informa-tique.

 

Rencontrent-elles des difficultés à mobiliser des bénévoles par leurs propres moyens ?

EP : Certaines associations ont le réflexe d’aller rechercher les compétences en externe, sans même faire le bilan des compétences internes des salariés et/ou des bénévoles.

PB : Les associations font appel à du bénévolat de compétences pour de bonnes autant que de moins bonnes raisons. Certaines n’ont pas envie de se poser des questions et cherchent tout de suite des compétences ex-ternes. Au contraire, il est important de prendre le temps d’examiner les compétences internes. Dans certains cas, l’association a seulement besoin de quelqu’un qui l’aide à bien comprendre son problème avec un regard extérieur et bienveillant.

 

Ce type de bénévolat est-il en développement ? Pour quelles raisons ?

EP : Il est difficile d’évaluer si le bénévolat de compé-tences se développe. Une chose est sûre, le développe-ment de partenariats entre des associations et des entre-prises est un facteur facilitant.

PB : Il y a une demande croissante pour ce type de bénévolat. Chez P&C, le nombre des demandes des associa-tions a plus que doublé entre 2013 et 2015, passant de 400 à 900. On trouve aussi de plus en plus d’acteurs sur ce type de bénévolat. Pour finir, le nombre de bénévoles proposant leurs compétences est en constante augmentation.

 

Quel est le profil et la motivation des bénévoles qui s’engagent de cette manière ?

EP : Ces bénévoles veulent agir ponctuellement auprès d’associations, sans s’engager sur le long terme. Ils n’ont pas nécessairement le temps de chercher l’association dans laquelle il pourrait s’impliquer, raison pour laquelle ils font appel à des intermédiaires. Les demandeurs d’emploi et les jeunes sont nombreux à rechercher ce type de bénévolat pour exercer leurs compétences, passer de la théorie à la pratique et être valorisé.

PB : En très grande majorité, ces bénévoles viennent pour partager leurs compétences au service d’une cause et se rendre utiles. Ce sont à 80 % des actifs (50 % de salariés, 20 % à leur compte, 10 % au chômage) et 20 % sont des retraités. Certains sont dans une démarche d’engagement long terme, mais cherchent, à travers une mission, le lieu de leur engagement idéal.

 

Quels sont les effets produits par le bénévolat de compétences ?

EP : Le bénévolat de compétences peut être très positif, encore faut-il que l’association soit préparée en amont à accueillir un bénévole ponctuel, à lui donner tous les éléments dont il a besoin et à l’accompagner. Il s’agit d’une démarche qui se prépare.

PB : Selon une de nos études, 88 % des missions sont utiles sur le moyen et long terme, et 85 % des missions ont eu un impact bénéfique auprès des bénéficiaires. Les effets portent principalement sur l’amélioration des outils et des process de l’association, puis sur la visibilité du projet associatif et son évolution (notamment en termes de gouvernance).

 

Quels sont les risques de ce type de bénévolat et comment les éviter ?

EP : Dans certains cas, le bénévolat de compétences ne peut fonctionner : manque de préparation en amont, pas de continuité entre la mission de bénévole et le suivi du projet par la suite avec l’équipe et les bénévoles réguliers, rejet par certains salariés et bénévoles des propositions, outils mis en place trop complexes et non utilisés, etc. Il y a également le risque de calquer des modèle issus des entreprises.

PB : Un des risques est de penser que le modèle des entreprises serait la solution. Or la solution est dans la confrontation des modèles. Les associations ont beau-coup à apprendre aux entreprises sur leur « fécondité », mais l’inverse est aussi vrai sur l’apport en termes d’efficacité des entreprises. Le second risque est l’instrumentalisation du bénévolat. « J’ai une urgence à traiter et j’utilise le bénévole comme un prestataire. ». Le rôle de P&C est justement d’accompagner le bénévole dans son engagement dans l’association et d’éviter la manipulation.

 

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