Têtes de réseau : le changement, c'est maintenant ?

PAR MARIE LAMY, RESPONSABLE DES PROGRAMMES AU MOUVEMENT ASSOCIATIF

Les regroupements des associations en réseaux et fédérations ont fortement contribué à la vitalité et à la force des associations tout au long du XXe siècle. Touchés par de multiples crises, ils font l’objet d’une défiance croissante exprimée autant par leur base sociale que par leurs partenaires. Un contexte qui les oblige aujourd’hui à réaffirmer leur identité et à revoir les services qu’ils apportent à leurs membres.

 

Décentralisation et privatisation des ressources

Un des principaux facteurs de déstabilisation des fédérations réside dans les mouvements de décentralisation et de déconcentration de l’action publique. Historiquement, les principaux regroupements fédératifs se sont constitués en rapport à l’État central avec comme objectif d’élaborer une parole collective. Aujourd’hui, ils sont confrontés à l’autonomisation de leur base sociale du fait du poids pris par les pouvoirs publics locaux et européens. Ce contexte les oblige à s’interroger sur la manière dont ils peuvent articuler « agir local et penser global ». Conséquemment à cette évolution, les financements nationaux, très structurants pour ces réseaux, se sont effrités. Le désengagement de l’État les conduit à revoir leur modèle économique et leur organisation. Le développement des régulations marchandes et la multiplication des appels d’offres accentuent les concurrences entre associations et fragilisent les dynamiques de coopérations interassociatives. En termes de modèle économique, le mouve-ment de privatisation des ressources associatives n’est pas facile à gérer pour des têtes de réseaux dont l’activité commerciale est limitée. La mobilisation de mécénat leur est difficile, leur impact social étant indirect. Le modèle économique des têtes de réseau doit être repensé.

 

Horizontalité et numérique

Ces dernières années, l’État et les collectivités territoriales ont multiplié les dispositifs de soutien à la vie associative (DLA, maisons des associations, point d’appui à la vie associative, CRIB, etc.) ; cette offre concurrence directement les appuis que les fédérations apportent à leurs membres et brouille les cartes du paysage de l’accompagnement associatif, historiquement principalement pris en charge par les réseaux. Par ailleurs, les formes d’engagement ont fortement évolué et remis en cause des systèmes hiérarchiques pyramidaux. La culture d’engagement qui a présidé à l’instauration des réseaux a évolué. De nouvelles dynamiques citoyennes plus horizontales, plus éphémères et exigeantes vis-à-vis des résultats émergent. Le besoin d’investissement dans des actions plus concrètes, avec des effets immédiats et visibles, s’inscrit difficilement dans un projet collectif institutionnel, comme le cadre des fédérations. Enfin, le développement des technologies de l’information et de la communication bouscule les fédérations. Internet et les réseaux sociaux facilitent l’accès aux ressources et à l’information, rendant leur plus-value moins évidente. Les technologies collaboratives portent en elles de nouvelles manières de s’associer et de coopérer qui demandent à être prises en compte par les têtes de réseaux.

 

Choix internes fragilisants

Mais cette déstabilisation ne tient pas qu’à l’environne-ment externe de ces réseaux. Elle résulte aussi d’options prises ces dernières années. Certaines fédérations se sont focalisées sur le développement de services apportés à leurs membres, au détriment de la nécessité de faire vivre leur projet militant. Or, ces fonctions sont facilement concurrencées. Sans compter la professionnalisation massive des associations qui fait courir aux fédérations le risque de devenir des organisations gestionnaires, n’autorisant pas le bénévolat militant. Par ailleurs, l’organisation des têtes de réseaux en plusieurs entités indépendantes juridiquement a rendu difficile les approches stratégiques, et les réorganisations territoriales n’ont guère été anticipées.

 

S’ouvrir et anticiper les changements

Dans ce contexte, de nombreux réseaux ont pris conscience de l’enjeu d’évoluer et se sont mis en mouvement. En témoignent la multitude de chantiers stratégiques et de refondation qu’ils ont engagés pour relever ces défis. Pour certains, la réponse consiste à faire vivre et à promouvoir davantage leur identité poli-tique de manière à revivifier les engagements de leurs membres. Pour renforcer la dynamique ascendante de certains réseaux, le recours à des pratiques participatives de mobilisation locale, fondées sur une forte capacité d’écoute et de transmission, est envisagé. L’enjeu est aussi d’améliorer l’accueil des nouvelles associations membres et de favoriser l’appropriation du projet associatif par les différentes parties prenantes. D’autres s’engagent dans une ouverture plus grande, dans une logique de coopération et d’outils mutualisés. Pour faire face à la reconfiguration territoriale, certains repensent leur présence à l’échelon infradépartemental, régional ou européen. Pour sortir de la logique uniquement gestionnaire de services aux membres, les outils et les services qu’ils leur apportent sont réinterrogés et repensés en fonction des besoins. Si le chantier ne fait que s’ouvrir pour certains et que le défi à relever est immense, la prise de conscience de la nécessité de passer un cap a gagné du terrain. Et une conviction semble de plus en plus partagée : la réflexion stratégique et l’anticipation, s’ils demandent une prise de recul et du temps, sont préférables aux mesures d’adaptation.

 

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