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Quels enjeux autour de la réforme de la dépendance?

Source: Union Sociale, le mensuel de l’Uniopss

Union Sociale: A quoi correspond le concept de dépendance?

Dominique Balmary: Pour l’Uniopss, qui préfère parler de perte d’autonomie, le nouveau régime à construire est destiné à toute personne limitée dans l’accomplissement de gestes de la vie quotidienne, qui se trouve en risque de solitude, et dont la dignité peut être menacée. Il s’agit de lui permettre de recourir librement aux aides et aux appuis de toute nature autorisant la prévention de ces situations et leur compensation quand elles surviennent et se prolongent.

Roselyne Bachelot-Narquin: La dépendance renvoie en effet à la perte d’autonomie. Cette notion de dépendance nous dit quelque chose de notre rapport à l’autre et de notre humanité. La dépendance ou l’interdépendance, est le propre même de l’humain. Nous sommes toutes et tous vulnérables. Nous sommes toutes et tous dépendants les uns des autres: l’enfant est dépendant de ses parents; tous, en tant qu’être humains, nous interagissons. C’est cette vulnérabilité réciproque qui rapproche, qui favorise le lien social, la solidarité.

Union Sociale: De nombreuses associations aspirent à la création d’un droit universel à l’autonomie pour toutes les personnes ayant besoin d’être aidées dans leur autonomie, quel que soit leur âge. La création de ce droit est-il envisageable un jour?

Dominique Balmary: Beaucoup, quel que soit leur âge et la cause de leur manque d’autonomie, handicap ou vieillissement, se trouvent dans une situation difficile ou menacés de s’y trouver. Il est nécessaire et logique de traiter ensemble et de manière analogue ces deux populations, et ceci quel que soit leur âge. À l’avenir, les politiques sociales devront de plus en plus devenir « transversales ». Elles devront traiter de façon coordonnée l’ensemble des problèmes qui se posent à une personne et éviter de « catégoriser » à l’excès les usagers, surtout quand ils rencontrent des difficultés semblables. Question d’efficacité, question d’équité et question de cohésion sociale. Si la loi à venir ne devait traiter que du cas des personnes âgées, elle devrait cependant s’engager à traiter, dans un délai raisonnable et selon les mêmes principes, les personnes handicapées.

Roselyne Bachelot-Narquin: Vous avez raison, de nombreuses problématiques sont transversales. Je pense à la question des aidants, aux services à domicile ou encore à l’accessibilité. L’objectif de convergence est bien évidemment toujours en ligne de mire et les décisions que nous prendrons seront compatibles avec cet objectif. Mais je veux rappeler que la gouvernance est déjà commune aux secteurs des personnes âgées et des personnes handicapées: la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, les agences régionales de santé et les départements interviennent dans les deux champs. S’agissant des prestations, là aussi, personnes âgées et personnes handicapées bénéficient des mêmes prestations d’assurance maladie. Dois-je rappeler que l’assurance maladie contribue à hauteur de 50 % au financement de la dépendance?

Union Sociale: Quels sont les enjeux de la réforme de la dépendance?

Dominique Balmary: Les enjeux sont multiples: financement, prévention, appui aux aidants, coordination, tarification… Mais l’enjeu majeur est celui de la préservation de la cohésion sociale et de la dignité des personnes. Il implique d’organiser le « bien vieillir ensemble », dans une France qui avance en âge. Ce qui veut dire qu’il faut permettre à ceux qui conservent leurs capacités de continuer à apporter à la société le concours de leurs talents et préserver au maximum le lien social de ceux qui voient leurs forces se réduire.

Roselyne Bachelot-Narquin: Je partage en tout point ce que vient de dire Dominique Balmary. Il faut tordre le coup à cette image de la vieillesse associée à la dépendance. L’extraordinaire allongement de l’espérance de vie que nous connaissons signifie que nous restons jeunes, en bonne santé, de plus en plus longtemps. De fait, la dépendance concerne moins de 8 % des plus de 60 ans et, en moyenne, elle dure seulement 4 ou 5 ans. De plus, lorsqu’ils sont dépendants, nos aînés n’en gardent pas moins leur dignité d’homme et de femme. Ils ont des projets, des attentes, des besoins. Il est de notre devoir d’y répondre.

Union Sociale: Le gouvernement souhaite développer la notion de parcours afin de favoriser la prise en charge de la dépendance? À quoi correspond celle-ci?

Dominique Balmary: L’idée de parcours, qui figure déjà dans la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST), doit nécessairement trouver ici un point d’application majeur. Il s’agit de permettre enfin aux usagers de franchir sans obstacle ni « trou » dans la protection, les étapes qui doivent les conduire à recourir à diverses institutions et passer notamment sans encombre ni délai, du domaine sanitaire au secteur médicosocial. Ce qui est loin d’être le cas actuellement.

Roselyne Bachelot-Narquin: Le dernier rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie montre bien comment les ruptures de parcours et de prise en charge sont préjudiciables aux personnes. Notre pays souffre en effet d’un profond cloisonnement: entre le sanitaire et le médico-social, entre l’assurance maladie et les départements, ou encore entre l’établissement et le domicile. C’est ce constat qui m’avait conduit, dans la loi HPST, à créer les agences régionales de santé. La mise en place des maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer, dans le cadre du plan Alzheimer, participe aussi à cet objectif. Mais je pense que nous devons désormais aller plus loin. Je souhaite notamment que nous allions jusqu’au bout de la réforme HPST en mettant les agences régionales de santé en situation de responsabilité sur l’ensemble des crédits qui aujourd’hui transitent par elles, en créant des objectifs régionaux de dépenses d’assurance maladie (Ordam) qui permettraient une fongibilité totale entre les différentes enveloppes.

Union Sociale: Pour le gouvernement, la priorité est aussi de permettre aux personnes âgées de rester le plus longtemps à domicile. Comment atteindre cet objectif?

Dominique Balmary: On le sait, le maintien à domicile est plébiscité par les Français et recommandé par les spécialistes. S’il représente aujourd’hui environ 60% des situations, l’un des quatre groupes de travail nationaux réunis par Mme Bachelot, a prévu que ce taux devrait passer à 70% d’ici 2030-2040. De nombreuses et intéressantes propositions ont été faites pour parvenir à ce résultat souhaitable. Elles commencent par le maintien du principe essentiel du libre choix de l’intéressé. Ensuite, parmi toutes les autres suggestions, je souligne notamment l’aide à l’adaptation des logements, l’augmentation des plafonds de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et le soutien renforcé à apporter aux aidants. Rien ne serait possible sans le concours des aidants, en particulier les aidants familiaux. Le Haut conseil de la famille, auquel participe l’Uniopss, a chiffré à 2,8 millions le nombre de ces derniers. Il a fortement insisté sur la nécessité de leur apporter un appui solide et organisé. L’institution a ainsi émis de nombreuses suggestions qui méritent d’être retenues comme la prise en compte des aidants dès l’élaboration des plans d’aide afin de prévoir d’entrée les services de soutien et les formules de répit qui leur sont nécessaires.

Roselyne Bachelot-Narquin: Je suis très attachée au principe du libre choix. L’un des objectifs de la réforme sera de le rendre possible. Bien souvent, le niveau élevé du reste à charge en établissement incite nombre de nos concitoyens à rester à domicile. Mais souvent aussi, l’épuisement des aidants, faute de structures de répit ou de soutien, conduit à une institutionnalisation brutale du proche dépendant. Enfin, et le groupe d’Evelyne Ratte l’a aussi bien montré, notre offre de prise en charge est bipolaire: d’un côté le domicile, de l’autre, l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) très médicalisé. Entre les deux, il n’existe pas grandchose. Pour rendre effectif le libre choix, la réforme de la dépendance apportera des réponses sur ces trois volets.

Union Sociale: Pour financer cette réforme, le gouvernement a annoncé de simples mesures d’ajustement. Le montant cumulé de celles-ci ne devrait pas excéder 1,2 milliards d’euros. Cette somme est-elle suffisante au regard des besoins?

Dominique Balmary: Les évaluations du coût de la réforme dépendent largement des solutions qui seront retenues sur le fond et sur les modalités de financement. Des scénarios forts différents ont été envisagés. Les estimations semblent varier de 1,2 milliards d’euros à 3 ou 4 milliards d’euros. Certes, ce n’est pas rien en ces temps de vaches maigres, mais, comparés aux 600 milliards d’euros que coûte la protection sociale dans son ensemble, ces montants ne paraissent pas hors d’atteinte. Il conviendra de bien peser la délicate question de l’équilibre entre les solidarités familiales, les solidarités associatives et les solidarités publiques. Mais considérant que nous sommes ici devant un sujet de nature sociétale, l’Uniopss préconise un financement large et solidaire assis sur tous les revenus, ceux du travail comme ceux du capital, avec un socle public aussi large que possible. Il s’agit vraisemblablement de la dernière grande réforme du quinquennat. Nous espérons qu’elle sera ambitieuse et à la hauteur des attentes.

Roselyne Bachelot-Narquin: Je veux d’abord rappeler que nous ne partons pas de rien: la solidarité nationale consacre déjà près de 25 milliards d’euros à la prise en charge de la dépendance, dont 80% par l’État et la Sécurité sociale. Ce socle ne diminuera pas. Aujourd’hui, nous devons répondre aux défis qui se posent: le reste à charge en établissement ou à domicile pour les personnes lourdement dépendantes, la situation des aidants, les difficultés des services d’aide à domicile et de certains départements. Mais nous devons aussi inscrire la réforme dans la durée pour préparer ce qui nous attend. Dès lors, je ne vois pas comment de simples mesures d’ajustement pourraient répondre à ces deux défis ! L’équilibre entre la solidarité familiale, la prévoyance individuelle et la solidarité publique reste subtil. Il ne faut pas qu’une solidarité chasse l’autre.

Propos recueillis par Antoine Janbon

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