Anticiper les défis de demain pour gagner en liberté

Repérer et qualifier les défis futurs, c’est se donner les chances de maîtriser les changements à opérer et de les transformer en opportunités de développement. Consciente de l’ampleur de l’impact de la transition actuelle sur les ONG, la plateforme de coordination des ONG françaises, Coordination SUD, a opté pour une méthode de prospective comme préalable à la définition de sa stratégie. Le Mouvement associatif a interrogé son président Philippe Jahshan.

 

Pourquoi Coordination SUD se lance-t-elle dans une démarche prospective aujourd’hui ?

Coordination SUD a fêté ses 20 ans en décembre 2014. Si nous pouvons amplement nous féliciter du chemin parcouru, les acquis du passé ne suffisent pas pour bien appréhender l’avenir. Celui-ci s’écrit avec une gram-maire complexe dont la lecture s’avère de plus en plus brouillée. Avant de nous engager dans un nouveau plan stratégique, il nous est apparu important de projeter les futurs possibles qui se présentent à nous pour mieux positionner notre réflexion.

 

À quels enjeux la démarche répond-elle et quel est l’objectif visé ?

Le sentiment de vivre une période de profonde transition est en effet vivace. De nombreux faits indiquent que le changement qui arrive est suffisamment puissant et multiforme pour transformer structurellement l’environnement des ONG. Cela se confirmera-t-il ? Cela mérite au moins que l’on y prenne garde et que l’on fasse un effort de décryptage pour comprendre. Les ONG sont frontalement confrontées à ces bouleversements : la multiplication des crises, la remise en cause d’une certaine forme d’action publique, avec en miroir de nouvelles conquêtes par des intérêts privés, la révision de nos paradigmes et de nos systèmes de référence… Le défi, c’est aussi celui de la pérennité économique de nos organisations. Notre secteur n’a cessé de croître durant les 20 dernières années. Pour autant, le bilan ne doit pas cacher nos fragilités. Une très grande majorité d’ONG connaît des difficultés financières, et notre poids au niveau mondial reste très relatif. Pour faire face à cette situation, les ONG s’engagent de plus en plus dans une hybridation de leurs ressources et de leurs missions, allant même jusqu’à une hybridation des modèle juridiques. Oui, notre secteur semble bien être au devant d’une période où son rôle historique, son identité, ses valeurs, ses combats, son modèle économique et ses métiers seront interrogés. C’est pour toutes ces raisons que cet exercice a été engagé.

 

Quelle est la méthode choisie pour mener ce chantier ?

Afin d’apporter un regard détaché, parfois décalé, un groupe semi-externe a été composé (personnes ressources, instances, membres et salariés). S’inspirant de publications françaises et internationales, le groupe a mené son cheminement en 6 mois et en 5 étapes. Après avoir identifié les champs thématiques structurants pour sa réflexion (1re étape), il a longuement débattu des tendances fortes (2e étape), c’est-à-dire des orientations considérées comme fortement probables pour 2030. L’obsolescence de la représentation Nord-Sud, l’accélération des flux migratoires, les impacts de la raréfaction des ressources sont des exemples d’évolutions jugées quasi inéluctables. Ces tendances sont toutefois influencées par des ruptures (3e étape), plus incertaines, qui peuvent entrainer une diversité de scénarios (4e étape) parfois contradictoires. Notre monde sera-t-il celui du règne des sociétés civiles unies ? Opposera-t-il États et intérêts privés à ces sociétés civiles qui devraient alors se réfugier dans une certaine clandestinité ? Ou consacrera-t-il les alliances plus consensuelles autour d’enjeux mondiaux ? Ces scénarios ne constituent pas des situations telles qu’elles adviendront, mais des histoires-outils destinés à faire émerger des défis pour les ONG (5e étape).

 

Comment les membres de Coordination SUD sont-il impliqués dans la démarche ?

Tout d’abord, des membres ont participé au groupe de travail. Ensuite, le conseil d’administration a été réuni à trois reprises pour réagir et travailler sur la matière produite par le groupe. Enfin, l’ensemble des membres a été réuni en assemblée générale au cours de laquelle les projections prospectives ont été discutées. De façon col-lective, ils ont ensuite établi des choix sur les chantiers qu’ils jugeaient plus ou moins prioritaires et urgents à appréhender pour l’avenir. Il appartient désormais au conseil d’administration de mettre cela en ordre et de proposer des orientations stratégiques majeures pour Coordination SUD. Les membres seront de nouveau consultés à deux reprises au printemps 2016 pour amender, approfondir et vali-der les orientations du conseil.

 

Qu’en attendez-vous en termes de résultats ? Quels types de changements sont envisagés ?

Les réflexions issues de notre prospective assoiront donc notre future stratégie. Mais au-delà de cette production, l’exercice nous apprend que l’alerte prospective devrait être plus régulière, afin de garder ce temps d’avance in-dispensable pour éviter que l’avenir ne s’impose à nous. Pour redonner souffle au dynamisme qui nous carac-térise et préserver le pouvoir fondamental d’anticiper, d’adhérer ou de résister à ce qui se prépare. Pour nous ai-der enfin à projeter une Coordination SUD renouvelée, modernisée, renforcée et prête à répondre aux défis de demain. Une projection dans des avenirs possibles com-porte en elle-même l’immense avantage de sortir de soi et de ses contraintes immédiates et individuelles. Cela devrait faciliter la consolidation d’une vision commune de ce qu’il est nécessaire de faire et, par conséquent, ren-forcer l’identité collective de notre plate-forme.

 

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