L’Assemblée nationale a adopté, cette nuit, le Crédit d’impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE) qui sera ainsi en place dès le 1er janvier prochain pour soutenir les entreprises françaises et contribuer à l’amélioration de leur compétitivité.
C’est une très belle mesure, qui envoie un signal fort aux entreprises et à leurs salariés, et qui montre l’attachement du gouvernement et de la majorité qui le soutien à la compétitivité des entreprises françaises ; Soutenir l’économie efficacement – c’est-à-dire tout de suite – c’est œuvrer pour l’emploi, œuvrer pour une meilleure capacité à affronter la compétition mondiale, œuvrer pour que la France retrouve un rang majeur de grande puissance économique, qu’elle a perdu ses dix dernières années à cause d’une politique désastreuse favorisant la rente et les déficits plutôt que l’investissement, la recherche et la saine gestion des finances publiques.
Le Crédit d’impôt pour la Compétitivité et l’Emploi contient néanmoins une pilule amère, expression d’une erreur de vision et d’analyse qui va demain pénaliser lourdement des pans entiers de l’économie sociale. Le « Pêché originel » est d’abord, pour l’économie sociale, contenu dans l’appellation même du dispositif ; comment en effet accorder un crédit d’impôt à des entreprises qui, pour beaucoup, ne sont pas assujetties à l’impôt sur les sociétés ? Pour autant, elles contribuent à la richesse nationale par la taxe qu’elles paient sur les salaires, que les entreprises imposables à l’IS ne paient pas.
Dès la conception même de ce mécanisme, l’économie sociale n’est donc pas intégrée comme un secteur de l’économie française à soutenir et exposé, comme d’autres, à des problématiques de compétitivité. Il eut pourtant été logique, sur 20 milliards que la Nation va consacrer au soutien à l’économie, que 10% de cette somme – 2 milliards – soit consacrée à l’économie sociale, celle-ci représentant 10% de l’emploi salarié en France et un pourcentage semblable de part du PNB. Les experts les plus raisonnables évaluaient à 1 milliard la part du « crédit d’impôt » mal nommé qui aurait dû aller vers l’économie sociale, lorsque l’on tient compte des incidences de la TVA à laquelle elle n’est pas assujettie. L’économie sociale s’en serait probablement satisfaite.
Au lieu de cela, c’est finalement 300 millions d’euros qui seront dirigés, sous forme d’allègement de la taxe sur les salaires, vers les « petits employeurs » de l’économie sociale. Cet effort n’est bien sûr pas mince et il faut saluer, pour l’avoir obtenu, l’engagement total du Ministre délégué à l’Economie Sociale et Solidaire. Pour autant, cette mesure est l’expression d’une seconde contradiction. Ce ne sont pas en effet, au sein de l’économie sociale, les petits employeurs qui sont exposés à la concurrence et à la compétitivité de leurs coûts. Nul doute bien sûr que, par exemple, les « petites associations », employant entre 3 et 5 salariés, voire 10, seront heureux de bénéficier d’un allègement de charges ! Mais néanmoins, il est peu probable, car elles sont par nature moins concernées, que cela améliore leur compétitivité ou les conduise à créer des emplois supplémentaires. Ces 300 millions seront donc économiquement et en terme d’emplois sans doute peu efficaces, nonobstant la satisfaction qu’ils donneront à leur récipiendaires, dont je ne néglige ni le rôle, ni les difficultés à « boucler » leurs budgets tant ceux-ci ont été parfois resserrés sous l’effet de la crise.
En revanche, ces allègements de charge manquant vont créer pour l’économie sociale de graves distorsions de concurrence, qui vont fragiliser un très grand nombre d’entreprises : secteur médico-social, de la santé, du tourisme, de la formation, de l’éducation, de la culture, de l’insertion… autant de domaines où les entreprises de l’économie sociale sont confrontées à la concurrence d’entreprises capitalistes qui elles vont bénéficier de l’effet « crédit d’impôt » pour alléger leurs coûts. Avec une situation – 3ème contradiction – qui va conduire paradoxalement à mettre en difficulté sur la commande publique les entreprises de l’économie sociale qu’a contrario on aurait plutôt souhaité soutenir et voir se développer sur les marchés des collectivités et de l’Etat ! Comment le Président d’un Conseil régional va-t-il gérer demain le manque de compétitivité de l’économie sociale dans le domaine de la formation professionnelle dont il est un donneur d’ordre de premier rang ? Comment le Président d’un Conseil général va-t-il gérer ce même manque par rapport aux opérateurs qu’il peut être amené à retenir, par appel d’offres, pour assurer l’accompagnement social des allocataires du RSA dont il a la charge ? Comment le Maire de telle ou telle commune va-t-il pouvoir privilégier, pour que les enfants de sa commune partent en classe de découverte, un opérateur associatif qualifié plutôt qu’un autocariste dont l’objectif principal reste de rentabiliser son matériel ?
Les exemples seraient très nombreux pour illustrer ce que la distorsion des coûts produira demain et provoquera en matière d’inégalité d’accès de la commande publique… tout le contraire donc de ce que le gouvernement à afficher comme ambition pour l’économie sociale, en créant pour la première fois un Ministère de l’Economie sociale logé au sein même du Ministère de l’Economie. Pourquoi alors ne pas joindre les actes à la promesse ? Le sujet a pourtant été largement souligné. De nombreux parlementaires, le Président du groupe Socialiste, Républicain et Citoyen de l’Assemblée nationale, le rapporteur général du budget et le Ministre de l’Economie Sociale et Solidaire se sont employés à éclairer l’analyse du gouvernement.
S’il y a eu un effort indéniable fait en direction des coopératives, il apparaît néanmoins très insuffisant pour les autres structures de l’économie sociale. Le signal qui lui est ainsi envoyé est bien décourageant, venant d’un gouvernement dont elle attendait tant, et au moment où se prépare une loi-cadre annoncée comme majeure pour ce secteur en France.