Une confusion entre entrepreneuriat social et ESS
Si la note prend la peine de rappeler que l’entrepreneuriat social est, en France, « ancré dans la tradition de l’Économie sociale et solidaire », elle effectue implicitement une assimilation entre Economie sociale et solidaire et entrepreneuriat social, qu’elle présente comme la phase ultime d’évolution de l’ESS. Ainsi, pour dessiner les contours de l’entrepreneuriat social, elle focalise sa présentation sur les quelques exemples de bonnes pratiques ou d’expériences « qui ont fait leur preuve » négligeant les grandes familles qui composent l’Économie sociale et solidaire à savoir les associations, les mutuelles, les coopératives. Autre preuve de cette confusion, les auteurs de la note présentent le Programme d’investissement d’avenir (PIA) ou la relance du Conseil supérieur de l’Économie sociale et solidaire (CSESS) comme un signe de la volonté du gouvernement de donner une impulsion à l’entrepreneuriat social (et non à l’ESS !).
Cette confusion se mesure aussi dans la présentation faite par les auteurs des formations à l’entrepreneuriat social. Ces derniers se contentent de citer les formations qui reprennent explicitement l’intitulé « entrepreneuriat social » et implantées dans de grandes écoles de commerce (Chaire entrepreneuriat social de l’ESSEC et Chaire social Business / entreprise et pauvreté de HEC). Ils font l’impasse sur les masters dédiés à l’ESS à l’université tels que le master 2 spécialisé dans le développement et l’expertise sociale de l’IEP de Grenoble ou encore le master management des associations de l’université I Panthéon-Sorbonne.
Une conception utilitariste de l’entrepreuneuriat social
La note présente l’entrepreneuriat social comme une solution à la théorie économique des défaillances de marchés, en situant sa raison d’être dans des activités « qui produisent des externalités positives négligées [par l’État] ». Or, cette conception utilitariste de l’entrepreneuriat social contraste avec une vision de l’ESS comme porteuse d’un projet de société au service de l’intérêt général, fondé sur la rencontre entre une organisation collective de citoyens et la sphère publique de l’intérêt général. Elle fait l’impasse sur l’espace de construction démocratique que sont les structures de l’Économie sociale et solidaire.
Quel respect de l’initiative?
Animés par cette logique, on comprend que les auteurs vantent les mérites d’un outil de financement par appel à projets fondé sur l’exemple des « social impact bonds » au Royaume-Uni qui prévoient que « la puissance publique (…) choisi[sse] un opérateur pour répondre à un besoin qu’elle a préalablement repéré. » Charge à cet opérateur de lever les fonds nécessaires à l’action sans aide de la puissance publique sauf à démontrer, à l’issue de la réalisation, un impact social positif.
Cet outil de financement place l’initiative du seul côté des pouvoirs publics ou de ses agences, négligeant la capacité d’innovation des structures. On peut donc légitimement se demander quelle serait sa capacité à stimuler l’innovation, alors qu’il est animé par un objectif central de « recherche d’efficacité des dépenses sociales. » Les organisations de l’ESS déplorent aujourd’hui leur difficulté à développer les fonds propres nécessaires à stimuler leur R&D. De tels outils risquent d’aggraver cette situation en conduisant les organisations à assumer toutes les avances de trésorerie pour les missions d’intérêt collectif qu’elles réalisent.
Focalisation sur le « modèle » anglo-saxon
Par ailleurs, la note, en présentant l’émergence de la « venture philanthrope », oublie de préciser la distinction notoire entre le modèle anglo-saxon de financement des entreprises sociales où les donations philanthropiques étaient auparavant « la principale source de financement des entreprises à visée sociales » et le financement des structures de l’Économie sociale et solidaire en France, historiquement largement soutenues dans leur développement par les pouvoirs publics.
Une volonté d’élargir le DLA à « d’avantages d’entreprises sociales »
Constatant que l’accompagnement est essentiel à la pérennité des entreprises sociales, les auteurs de la note préconisent d’élargir la cible du Dispositif local d’accompagnement (DLA) à toute entreprise, quel qu’en soit son statut juridique, afin qu’il touche «davantage d’entreprises sociales ».
Pourtant, le DLA est déjà un dispositif trop restreint par rapport aux besoins d’accompagnement des associations. Il ne permet d’accompagner que 4 % des 165 000 associations employeuses chaque année et ne suffit pas à répondre à l’importance des besoins d’accompagnement de ses bénéficiaires actuels dont 95 % sont des associations (besoins récemment démontrés par enquête CPCA / Avise mars 2011).
Un tel élargissement est donc très risqué, il reviendrait à remettre en question la pertinence du DLA comme outil d’accompagnement des associations fondé sur le respect de la spécificité des structures associatives, organisées autour d’un projet collectif fédérateur. L’apport des DLA réside en partie dans cette connaissance de la culture associative par les chargés de mission DLA, qui au lieu d’être diluée, mériterait au contraire d’être approfondie. Il convient aujourd’hui de protéger un dispositif de soutien à la vie associative qui fait ses preuves, et non d’accentuer encore la concurrence entre acteurs de l’ESS. Une diversification des cibles potentielles du DLA, si elle était pertinente, ne pourrait intervenir que dans l’hypothèse d’une conséquente augmentation de son budget global, augmentation qui ne semble pas être à l’ordre du jour compte-tenu du contexte économique et des orientations budgétaires des dernières années.
Commande publique : une solution pour maîtriser les coûts ?
Enfin, le rapport propose de promouvoir la diversité des formes de contractualisation. Ainsi, les marchés publics ou délégations de services publics sont présentés comme des modes de contractualisation permettant une maîtrise des coûts et une explicitation des résultats. Il est permis d’en douter. De fait du bénéfice limité à un bénéfice raisonnable, de l’absence de dérive inflationniste lié au mécanisme de fixation des prix dans un marché public et de la part d’autofinancement qu’elles comprennent, les subventions s’avèrent en pratique moins coûteuses que les marchés publics (15 % à 20 % moins chères que les marchés publics).
Le Mouvement associatif invite ainsi les pouvoirs publics à la plus grande prudence dans l’utilisation de ce rapport qui, s’inscrivant dans une lignée récente de travaux qui semblent centrer l’approche de l’économie sociale sur l’entrepreneuriat social, soulève de nombreuses interrogations. L’inspiration très anglosaxonne, en décalage avec la réalité de l’organisation de la société française et le prisme centré sur l’entrepreneuriat social au détriment des familles historiques – et nombreuses – nous paraissent en effet à même de fragiliser aujourd’hui un secteur qui mériterait au contraire d’être soutenu et développé.
Leave a Comment
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.
Votre analyse vous discrédite. À ce que je sache l’entrepreneuriat social n’a jamais rejeté associations, mutuelles et coopératives. Au contraire, il les engage à adopter une finalité sociale, là où l’ESS ne précise pas cette finalité sociale. Des groupes coopératifs comme Leclerc qui ont les statuts coopératifs d’économie sociale n’ont rien a faire dans l’ESS…
Les familles historiques et nombreuses comme vous le dites seront fragilisées si rien n’est fait pour crédibiliser leurs actions sociales !
le modèle anglo-saxon de l’entrepreneuriat social n’a pas vocation être exporté dans sa globalité en France. Qui croit encore au modèles hégémoniques en 2012 ? Vive la mixité et l’hybridation!
Cette position frileuse et conservatrice de la CPCA est totalement contreproductive.
La finalité sociale que vous souhaiteriez voir préciser repose en grande partie sur la capacité d’initiative des associations. Ce ne sont pas les entrepreneurs sociaux qui sont ici mis en cause mais les préconisations portées par le CAS pour le financement de ce qui n’apparait pas clairement comme étant les activités de l’économie sociale en général ou de l’entrepreneuriat social en particulier. Ce manque de précision nous parait amplement justifier la nécessité de rappeler que les modèles anglo-saxons qui inspirent cette note ne sont pas l’alpha et l’oméga du développement de l’économie sociale, que la commande publique siphonne l’innovation sociale et, contrairement aux idées reçues, coûte plus cher que la subvention publique et est moins stable juridiquement (il y a des milliers de contentieux en la matière contre à peu près aucun en matière de convention pluriannuelle d’objectifs). Le propos n’est pas un rejet de l’entrepreneuriat social, nous avons eu de nombreuses occasions de rappeler qu’il y avait de la place au soleil pour de multiples et variés modèles au service d’une autre économie. Il convient en revanche de prendre garde que l’attrait pour la nouveauté ne balaie pas d’un revers de la main l’entreprendre associatif, ce respectable vieillard de 111 ans.
Votre analyse vous discrédite. À ce que je sache l’entrepreneuriat social n’a jamais rejeté associations, mutuelles et coopératives. Au contraire, il les engage à adopter une finalité sociale, là où l’ESS ne précise pas cette finalité sociale. Des groupes coopératifs comme Leclerc qui ont les statuts coopératifs d’économie sociale n’ont rien a faire dans l’ESS…
Les familles historiques et nombreuses comme vous le dites seront fragilisées si rien n’est fait pour crédibiliser leurs actions sociales !
le modèle anglo-saxon de l’entrepreneuriat social n’a pas vocation être exporté dans sa globalité en France. Qui croit encore au modèles hégémoniques en 2012 ? Vive la mixité et l’hybridation!
Cette position frileuse et conservatrice de la CPCA est totalement contreproductive.
La finalité sociale que vous souhaiteriez voir préciser repose en grande partie sur la capacité d’initiative des associations. Ce ne sont pas les entrepreneurs sociaux qui sont ici mis en cause mais les préconisations portées par le CAS pour le financement de ce qui n’apparait pas clairement comme étant les activités de l’économie sociale en général ou de l’entrepreneuriat social en particulier. Ce manque de précision nous parait amplement justifier la nécessité de rappeler que les modèles anglo-saxons qui inspirent cette note ne sont pas l’alpha et l’oméga du développement de l’économie sociale, que la commande publique siphonne l’innovation sociale et, contrairement aux idées reçues, coûte plus cher que la subvention publique et est moins stable juridiquement (il y a des milliers de contentieux en la matière contre à peu près aucun en matière de convention pluriannuelle d’objectifs). Le propos n’est pas un rejet de l’entrepreneuriat social, nous avons eu de nombreuses occasions de rappeler qu’il y avait de la place au soleil pour de multiples et variés modèles au service d’une autre économie. Il convient en revanche de prendre garde que l’attrait pour la nouveauté ne balaie pas d’un revers de la main l’entreprendre associatif, ce respectable vieillard de 111 ans.
Votre analyse vous discrédite. À ce que je sache l’entrepreneuriat social n’a jamais rejeté associations, mutuelles et coopératives. Au contraire, il les engage à adopter une finalité sociale, là où l’ESS ne précise pas cette finalité sociale. Des groupes coopératifs comme Leclerc qui ont les statuts coopératifs d’économie sociale n’ont rien a faire dans l’ESS…
Les familles historiques et nombreuses comme vous le dites seront fragilisées si rien n’est fait pour crédibiliser leurs actions sociales !
le modèle anglo-saxon de l’entrepreneuriat social n’a pas vocation être exporté dans sa globalité en France. Qui croit encore au modèles hégémoniques en 2012 ? Vive la mixité et l’hybridation!
Cette position frileuse et conservatrice de la CPCA est totalement contreproductive.
La finalité sociale que vous souhaiteriez voir préciser repose en grande partie sur la capacité d’initiative des associations. Ce ne sont pas les entrepreneurs sociaux qui sont ici mis en cause mais les préconisations portées par le CAS pour le financement de ce qui n’apparait pas clairement comme étant les activités de l’économie sociale en général ou de l’entrepreneuriat social en particulier. Ce manque de précision nous parait amplement justifier la nécessité de rappeler que les modèles anglo-saxons qui inspirent cette note ne sont pas l’alpha et l’oméga du développement de l’économie sociale, que la commande publique siphonne l’innovation sociale et, contrairement aux idées reçues, coûte plus cher que la subvention publique et est moins stable juridiquement (il y a des milliers de contentieux en la matière contre à peu près aucun en matière de convention pluriannuelle d’objectifs). Le propos n’est pas un rejet de l’entrepreneuriat social, nous avons eu de nombreuses occasions de rappeler qu’il y avait de la place au soleil pour de multiples et variés modèles au service d’une autre économie. Il convient en revanche de prendre garde que l’attrait pour la nouveauté ne balaie pas d’un revers de la main l’entreprendre associatif, ce respectable vieillard de 111 ans.