Une fenêtre sur l’humain
C’est un soir de début de semaine, maraudeurs des différentes équipes nous retrouvons avant le top départ. Avec les deux personnes qui m’accompagnent, nous allons parcourir notre bout de 11e à la rencontre de ces sans-abris, connaissances et amis, nouveaux-venus et presque « résidents ». C’est la première fois que je découvre ce parcours et les personnes que nous visitons.
Au fur et à mesure que nous avalons le bitume, nos échanges nous projettent entre l’Inde et le Sri Lanka, un détour par la Bulgarie, reflets de parcours dont le dénominateur commun est une réalité que nous découvrons à travers eux, celle des migrations, avec sa part de détresse et de solitude. Dans ce contexte où mon penjâbi est aussi rouillé que mon bulgare, nous circulons entre nouvelles brèves et conversations, dans un langage presque signé entrecoupé de regards qui en disent long. Présente dans la rue, cette diversité culturelle souvent délaissée froidement derrière la condescendance d’un regard réprobateur présente, ici aussi, sa richesse, sa complexité et ses questions.
Nous arrivons auprès d’une de nos connaissances qui véritablement nous accueille. Sa digne simplicité tord le cou aux préjugés et aux méfiances qu’inspirent les personnes de la rue, rompant avec la logique de l’amalgame. Elle nous montre quelques photos et nous parle de sa famille et de ses traditions. L’homme que nous découvrons affiche un charisme et une fierté qui ne me laissent pas indifférent. Et les photos des membres de sa famille viennent appuyer l’impression déjà forte qu’il est réducteur de ne voir la personne qu’à travers sa condition présente. Je réalise mieux que lui aussi est père de famille, qu’il honore ses traditions et ses ancêtres et qu’il cherche maintenant à faire vivre sa famille loin d’elle, chassé par le poids de la nécessité.
Alors, si nous ne pouvons tous agir de la même façon, on peut sans doute tous commencer par changer notre regard. La façon de vivre sa condition pour les personnes rencontrées en dépendra beaucoup, à un des moments certainement les plus compliqués de sa vie. Sans sombrer dans la moralisation, ou dans une charité naïve éloignée des réalités, il s’agit ne serait-ce que pour soi de percevoir cette diversité pour, avec le temps et la confiance, pouvoir communiquer et partager, rompre enfin l’isolement de part et d’autre.