Vos travaux vous ont donné l’occasion de comparer des pratiques de mécénat et de bénévolat au sein de grandes entreprises françaises et américaines. Sur ces sujets, quelles grandes différences et similitudes avez-vous pu observer entre ces deux pays ?
J’ai travaillé sur une forme particulière de mécénat d’entreprise en France et aux Etats-Unis, que j’ai appelé bénévolat d’entreprise (là où les mécènes français préfèrent parler de mécénat/bénévolat de compétence). Il s’agit pour les entreprises d’inciter leurs salariés à effectuer des activités associatives sous les couleurs de l’entreprise, sur ou hors du temps de travail. Ces politiques servent des objectifs managériaux très semblables dans les deux pays (motivation, communauté d’entreprise, meilleure image interne et externe…), et reposent sur des activités associatives semblables, organisées de façon très similaire. En revanche, aux Etats-Unis, ces politiques sont à la fois plus développées, mieux connues du grand public et davantage publicisées. Ceci dit, c’est en France qu’elles font l’objet de déductions fiscales…
Un récent article que vous avez coécrit (« La RSE, entre relations publiques et outil politique », Anne Bory et Yves Lochard, La revue de l’IRES, n°2, 2008.)] décrypte les dimensions stratégiques, pour les entreprises, de la mise en avant de politiques de RSE. D’après vous, à partir de quand peut-on parler d’une RSE qui ne soit pas uniquement déclarative et qui ne se limite pas à la seule valorisation de l’image de l’entreprise ?
La RSE recouvre des pratiques et des représentations très diverses. Certains rapports de RSE ou de développement durable d’entreprises ne font état que du respect par les entreprises de la législation – notamment sociale – des pays dans lesquels elles sont implantées, ou des accords internationaux comme les principes de l’OIT ou de l’OCDE, sur le respect des droits fondamentaux. On va au-delà des déclarations lorsque les entreprises s’engagent sur des pratiques qui ne leur sont pas imposées par le droit national ou international, et qu’elles le font de façon pérenne. Cela peut concerner les droits des salariés ; leur protection sociale ou leurs droits à la formation par exemple ; le bouleversement des processus de production pour protéger l’environnement, ou encore une plus juste répartition des bénéfices. Notons que ces trois domaines sont rarement réunis.
Comment voyez-vous la place des associations en tant que potentielle partie prenante de la mise en œuvre de la RSE ?
Pour le monde de l’entreprise, le concept même de RSE a été conçu comme une façon de formaliser ses relations avec les acteurs faisant partie de son environnement social, économique et politique. Le monde associatif en fait partie. Cependant, il est souvent en position de faiblesse relative dans ses relations avec le monde de l’entreprise. Pour les associations bénéficiant d’une renommée importante et de budgets conséquents, il est possible de faire pression sur le monde de l’entreprise, y compris sur des entreprises mécènes, pour réclamer des conduites plus responsable socialement. C’est ce qu’ont fait par exemple Amnesty International et Handicap International en faisant pression sur Axa pour que l’entreprise se désengage de fonds comprenant des actions de groupes produisant des bombes à sous-munitions. Ceci dit, dans le cadre de ma thèse, j’ai plus souvent observé le changement de certaines politiques associatives afin de plaire aux entreprises mécènes plutôt que le contraire, pour des questions évidentes de rapports de force.
* Anne Bory est docteur en sociologie et chercheur associé au Laboratoire George Friedman, Université Paris 1. Soutenue en 2008, sa thèse de doctorat est intitulée « De la générosité en entreprise : mécénat et bénévolat dans les grandes entreprises en France et aux Etats-Unis ». Pour en savoir plus, cliquez [ICI
Propos recueillis par Emmanuel Gagnerot, Chargé de mission pour Le Mouvement associatif.