1) Pour sortir de l’impasse entre une régulation de l’économie par l’Etat ou par le marché, vous proposez une régulation par une alliance d’acteurs privés ayant une finalité sociale (sociétés de personnes, entrepreneurs sociaux et entreprises inscrites dans des démarches de RSE). Le périmètre de cette « économie démocratique » ne prête-t-il pas a confusion ?
C’est le contraire : c’est faire croire que cette « économie démocratique » a un périmètre figé qui suscite le trouble et l’incompréhension. La démocratie est un horizon, un processus, forcément inachevé, qui appelle moins à la perfection qu’à une amélioration continue, dans une grande diversité de formes. L’Economie Sociale et Solidaire (ESS) le démontre : au fil de sa longue histoire, elle s’est constamment renouvelée, a toujours innové dans la manière de répondre aux besoins sociaux et de démocratiser l’économie.
L’enjeu n’est pas de construire un îlot de démocratie dans un océan de « dictature » économique, mais bien de faire en sorte que la « pulsion démocratique » (Fitoussi) irrigue l’ensemble de l’économie.
2) Si le pouvoir du capital n’est pas limité par un statut spécifique, qu’est ce qui garantira que la régulation se fasse au nom de l’intérêt général et dans un esprit démocratique?
Les statuts d’économie sociale, que nous défendons, sont essentiels dans cette perspective. Mais ce ne sont pas les seuls moyens pour y parvenir. Le Groupe Archer par exemple est une entreprise sociale sous forme de SAS(Société par actions simplifiée, alternative à la société anonyme assortie d’un pacte d’actionnaires)]. qui fait vivre dans ses statuts des règles « sur mesure » de démocratie économique.
En fait, les trois piliers du trépied « valeurs / pratiques / statuts » sont complémentaires et indispensables. L’ESS qui s’est beaucoup focalisée sur les valeurs et les statuts, doit désormais aussi mettre l’accent sur les pratiques réelles et leur évaluation. C’est un des chevaux de bataille du Mouves (« langage de la preuve »). Cela devient aussi un sujet de travail collectif du secteur comme en témoigne la démarche initiée par le [CEGES (Conseil des entreprise, Employeurs et Groupements de l’Economie Sociale)] pour la construction d’indicateurs de plus-values de l’ESS. On ne peut que s’en réjouir.
3) Vous souhaitez que ces dynamiques d’alliance déjà à l’œuvre se développent et que l’économie sociale et solidaire cesse d’être un « nain politique ». Quel rôle les associations ont-elles à jouer dans ce changement d’échelle ?
L’ESS doit porter un projet qui la dépasse : pour être audible et peser, l’ESS ne doit pas être une corporation focalisée uniquement sur la défense de ses intérêts, mais porter une cause, une vision à même de mobiliser, de toucher bien au-delà des cercles d’initiés. En un mot, être le mouvement social qui veut mettre le citoyen au cœur de l’économie. C’est d’ailleurs tout l’enjeu des [Etats Généraux de l’ESS, en cours.
Les associations jouent bien sûr un rôle clé dans cette perspective. Citons un enjeu parmi d’autres : comment faire pour que chacun se réapproprie l’économie, en redevienne acteur (sociétariat, consommation responsable, épargne solidaire…). C’est plus que jamais nécessaire quand 8 Français sur 10 estiment ne pas pouvoir faire bouger les choses à leur niveau ([Source : 1er Baromètre des Priorités Sociales Mouves – TNS Sofres, 2010)] : comment changer la société si une majorité pense qu’elle n’y peut rien ? Il faut donc conjurer cette résignation, en redonnant espoir sans promettre le Grand Soir, mais en prouvant, au quotidien, qu’il existe des marges de manœuvre pour changer la donne. On pourrait par exemple imaginer une grande campagne d’éducation populaire à cette citoyenneté économique, en s’appuyant sur l’expérience et l’ancrage territorial de cette composante essentielle du monde associatif.