CER : 3 questions à… Julien Talpin

Julien Talpin, sociologue, membre de l’Observatoire des libertés associatives, répond à 3 questions au sujet du contrat d’engagement républicain.

Est-ce que vous pouvez nous présenter la Coalition pour les libertés associatives ?

La Coalition pour les libertés associatives s’est constituée fin 2018 autour d’une inquiétude partagée par nombre d’entre-elles d’une restriction croissante des libertés associatives. Elle rassemble à la fois de grandes têtes de réseau (LDH, FNE, Attac, la Cimade, la coordination Pas sans nous, le CAC) et des associations plus petites mais qui ont directement fait l’expérience de la répression. Avec l’idée que face à des conflits avec les pouvoirs publics une des réponses est de se rassembler et rester unis.

Une autre réponse, c’est de donner une visibilité à ces mesures de restriction des libertés associatives. C’est pourquoi L.A. Coalition s’est doté d’un Observatoire des libertés associatives, dont je coordonne le conseil scientifique. En effet, on était un certain nombre de chercheurs en sciences sociales à pointer ces relations de plus en plus tendues entre associations et pouvoirs publics et on s’est donc dit qu’on pouvait mettre notre expertise au service de cette cause démocratique. En particulier, l’idée est de documenter le plus systématiquement possible ces entraves aux libertés associatives, afin de sortir du déni qui les entourent bien souvent. D’ailleurs quand le premier rapport de l’Observatoire a été publié fin 2020, le phénomène a été reconnu par les parlementaires de tous bords et le ministère à qui nous avons présenté ses conclusions. Après peu de choses ont bougé … Je crois qu’il faut continuer ce travail de publicisation, car bien souvent ça passe sous les radars : une coupe de subvention, un refus de salle, une attaque sur les réseaux sociaux, une amende, etc. ça n’est pas très spectaculaire. Mais mises bout à bout ces pratiques contribuent à accroître le coût de l’engagement associatif et appauvrir la démocratie.

Pouvez-vous nous dire en quoi le CER porte atteinte aux libertés associatives ?

Tout d’abord le CER institue une forme de défiance consubstantielle des pouvoirs publics à l’égard des associations. Alors que le CER ne fait que rappeler la loi, la nécessité aux yeux du gouvernement de rappeler ces principes insinue qu’ils ne seraient pas respectés par le monde associatif. Cela constitue une rupture historique par rapport aux relations partenariales qui ont pu se construire entre les pouvoirs publics et les associations, dont les Chartes d’engagement réciproques en 2014 constituaient une forme d’aboutissement. On a constaté un tournant depuis 2015, un durcissement des relations pouvoirs publics/associations, que vient parachever la loi séparatisme.

Ensuite, le CER constitue une attaque aux libertés associatives en restreignant le spectre des actions acceptables. A ce titre, l’issue de l’affaire d’Alternatiba à Poitiers sera décisive. Si jamais le juge estimait qu’une formation à la désobéissance civile constitue « un trouble grave à l’ordre public », le CER aurait contribué à criminaliser la désobéissance civile, pourtant reconnue comme une modalité légitime de la liberté d’expression par le droit européen, et qui a par ailleurs démontré dans l’histoire combien elle avait permis des avancées démocratiques (en permettant de lutter contre la ségrégation aux Etats-Unis, la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud, ou la légalisation de l’avortement).

Enfin, au-delà des quelques cas d’application directe du CER – qui demeurent exceptionnels, preuve que l’outil n’était peut-être pas indispensable … – il envoie un message, constitue une forme de rappel à l’ordre institutionnel à l’égard du monde associatif. Si dans le cas de Poitiers la maire a tenu bon, rien ne dit que dans des collectivités plus petites la pression étatique ne portera pas ses fruits. Plus encore, de nombreux édiles locaux pourraient y réfléchir à deux fois quand il s’agit d’octroyer une salle ou un financement à une association pouvant paraître, aux yeux de l’Etat, trop sulfureuse. Rien ne dit qu’à la MRES à Lille on ne sera pas désormais plus restrictif dans son soutien aux activités de certains pans du mouvement écologiste, à des fins de survie. C’est ainsi tout un pan de la vie associative qui risque de se retrouver marginalisé ou précarisé. De fait, nombre d’acteurs associatifs déclarent dès à présent se prémunir d’intervenir de façon trop véhémente dans le débat public, à prendre position sur telle ou telle décision politique, de craintes de mesures de rétorsion. Ce faisant, on contribue à dépolitiser la vie associative, qui devient un opérateur de services et de politiques publiques, davantage qu’une école de citoyenneté. Alors qu’on ne cesse de déplorer la montée de l’abstention à chaque scrutin successif et de s’alarmer de la crise du gouvernement représentatif, ces tendances sont approfondies par ces réformes d’apparences techniques ou consensuelles.

Comment faire pour renforcer les libertés associatives ?

Il ne peut suffire d’abolir le CER. Nous le disions bien avant avec l’Observatoire des libertés associatives, la situation était déjà problématique. Je crois qu’il faut jouer sur au moins à trois niveaux. Tout d’abord, à court terme, renforcer les capacités de résilience du monde associatif dans un contexte défavorable, en construisant des alliances larges et solidaires, avec peut-être aussi le soutien d’avocats, le droit restant un des remparts les plus efficaces. Ensuite, il faut repenser les modalités de financement public de la vie associative. Il faut sortir des décisions unilatérales des majorités quelles qu’elles soient, qui veut qu’un élu peut de façon relativement discrétionnaire attribuer ou retirer une subvention. A ce titre, généraliser le fonctionnement pluraliste du FDVA – quand bien même on n’a vu récemment en Corrèze que son autonomie était relative – et plus encore le dispositif mis en place par des élus du conseil départemental du Nord, où les financements associatifs sont octroyés par des jurys citoyens. Je ne sais pas s’il faut complètement retirer les élus de la décision, mais le pluralisme permettrait de sortir de la relation dépendance au financeur ce qui renforcerait l’autonomie politique des associations, pouvant alors jouer leur rôle de contre-pouvoir. Enfin, il faut aller vers une vraie démocratie participative, permettant d’offrir des débouchés aux revendications des citoyens et de la société civile, à l’instar du droit d’interpellation qu’expérimente la ville de Grenoble. Il y a une relation dialectique à entretenir : démocratiser les institutions renforce les libertés associatives, qui peuvent alimenter une démocratisation plus forte de la société.