Du voyage « équitable » à la mission chevronnée de plusieurs années, les modalités d’implication dans le champ de la solidarité internationale renvoient à une grande diversité de situations. Beaucoup sont subsumées sous le terme de volontariat, qui se caractérise alors par des aspirations et des valeurs : volonté de s’engager, partage, goût de la découverte et de l’altérité, etc. Cette dénomination, plus communément utilisée dans les pays anglo-saxons, est souvent associée à la description d’une société globalisée qui aiguise les curiosités, promeut la rencontre entre les cultures et facilite les voyages. Elle accompagne également un discours géopolitique renouvelé sur une planète multipolaire où les rapports Nord-Sud tendent à se rééquilibrer.
Le volontariat recouvre des réalités très différentes (1). En France, sa définition est restrictive. Elle renvoie à des cadres juridiques précis, qui donnent accès à certains droits sociaux et à une indemnité pour des missions bien définies et inscrites dans le temps. Ni bénévolat ni salariat, le volontariat est un statut hybride qui emprunte tantôt au premier le registre de l’engagement et du don de soi, tantôt au second celui de l’efficacité et du professionnalisme. Plusieurs dispositifs peuvent concerner le champ de la solidarité internationale. A ce jour, le plus largement utilisé est le volontariat de solidarité internationale (VSI), créé spécifiquement pour ce secteur. Deux mille cinq cents personnes agissent chaque année sous ce statut, qui relève de l’aide publique au développement, chapeautée par le ministère des affaires étrangères. Le VSI concerne un profil homogène de candidats : plutôt féminin, très qualifié, disposant d’une pratique professionnelle et d’une expérience à l’étranger (2).
Des candidates très qualifiées
A ce dispositif national pourrait bientôt s’ajouter le cadre européen des EU Aids Volunteers, un corps de dix mille volontaires qui pourrait être déployé dès 2014 sur des terrains de crise. Les Peace Corps (3) américains ont sans doute pour partie inspiré ce programme, qui vise notamment à accroître la visibilité de l’aide humanitaire accordée par Bruxelles. Beaucoup ignorent en effet que plus de la moitié des fonds destinés à aider les pays pauvres dans le monde proviennent de l’Union et de ses Etats membres.
Le programme de la Commission de Bruxelles pour la période 2014-2020 prévoit un budget de 239,1 millions d’euros qui sera affecté à un vaste plan de formation (58 millions d’euros), au déploiement (137 millions d’euros), au renforcement des capacités des populations touchées par les catastrophes (35 millions d’euros) et aux activités d’appui.
Un paysage bigarré
Là encore, le projet cible de jeunes diplômés en voie de professionnalisation ou des personnes plus expérimentées. De façon plus marginale, d’autres dispositifs de volontariat, tels que le service civique ou le service volontaire européen (SVE), peuvent concerner l’international.
Il existe par ailleurs des cadres d’engagement bénévole institutionnalisés, comme les chantiers internationaux ou les programmes Jeunesse, solidarité internationale (JSI), destinés aux jeunes issus de quartiers populaires. Ils recrutent une population aux expériences scolaires et professionnelles plus variées que les volontariats. Et, bien souvent, relèvent de politiques publiques de jeunesse (citoyenneté, mobilité, etc.) largement portées par les collectivités territoriales (régions, en particulier). Les formes d’engagement bénévole renvoient aussi à des mécanismes destinés à faciliter le départ des retraités ou des salariés. Le congé de solidarité internationale (CSI) permet par exemple de participer à une mission humanitaire pour une durée de six mois, sans rémunération et avec la garantie de retrouver son emploi. On peut enfin penser à toutes les démarches qui prennent place dans un contexte moins institutionnalisé et donc plus difficile à saisir, mais dont les témoignages laissent à penser qu’elles se développent, grâce à Internet par exemple. Le paysage est donc bien plus bigarré et complexe qu’il n’y paraît au premier abord. Et, à y regarder de plus près, on observe aussi des évolutions et des tensions.
Aide au développement et politiques de jeunesse semblent ainsi s’entrecroiser et se rencontrer de plus en plus. Le rôle croissant des collectivités territoriales y contribue également, car celles-ci tendent bien souvent à faire d’une pierre deux coups en alliant coopération décentralisée et mobilité des jeunes de leur territoire. Ce qui ne vas pas sans un certain brouillage des repères : la coopération décentralisée devient un moyen de développer des jumelages, des projets locaux dans une certaine mesure protégés des questions géopolitiques et des rapports de forces entre Etats. Les risques d’instrumentalisation sont pourtant aussi présents dans ce cadre où la solidarité internationale est (parfois d’abord ?) un support à l’éducation, à la formation et à la mobilité internationale de la jeunesse.
Une autre évolution concerne donc la multiplication des échelons de mise en œuvre, de l’Europe à la ville, qui s’accompagne d’un développement des formes de cofinancement. Enfin, les initiatives qui se font hors de ces cadres semblent elles aussi se développer, grâce à Internet par exemple, et donner lieu à une multitude de projets locaux, individuels ou collectifs et peu formalisés. Non sans un certain idéalisme, ces évolutions sont le plus souvent jugées positives au sein du monde associatif.
Brouillage des frontières
Pour les dispositifs de volontariat, tout d’abord, la frontière avec l’emploi apparaît particulièrement ténue, comme en témoignent à la fois les profils concernés et les missions confiées. La situation des jeunes volontaires peut alors s’apparenter dans certains cas à du sous-emploi, de même que le salariat se retrouve fragilisé par ce brouillage des frontières. Cette problématique s’observe dans l’ensemble du monde associatif. Elle apparaît ici avec une forte acuité parce que le registre de l’engagement désintéressé est particulièrement présent, et parce que les bénéficiaires des actions menées sont dans une situation de dénuement extrême.
Ce volontariat très professionnalisé se voit aussi entaché par toutes les remises en question dont le milieu de la solidarité internationale a fait l’objet ces dernières années. L’apparition d’un corps de volontaires européens, très critiquée d’ailleurs au sein du monde associatif, ne fait que renforcer le trait. Beaucoup interrogent aussi la pertinence d’un dispositif lourd et coûteux, déconnecté des priorités d’un secteur qui doit faire face à des financements insuffisants pour gérer des situations toujours complexes. La nécessité de créer une nouvelle structure alors qu’il en existe déjà tant pose également question.
Dans ce cadre, le développement d’autres dispositifs, portés par des politiques publiques de jeunesse, apparaît comme une bouffée d’air frais, un moyen de déprofessionnaliser et de démocratiser l’engagement de solidarité internationale pour bien des acteurs du secteur.