Service civique : une lettre ouverte au Président de la République

Monsieur le Président

Lors de vos vœux aux Français, vous avez évoqué votre souhait d’élargir le Service Civique, dans la continuité de vos déclarations du 6 novembre où vous faisiez part de votre volonté de le rendre universel.

Nous, citoyens engagés dans le monde associatif, économique, des médias ou de la fonction publique, sommes convaincus, comme vous, que notre pays a plus que jamais besoin de réapprendre le « vivre ensemble » et de donner un nouvel élan à la mobilisation de ses citoyens. Comme vous, nous sommes convaincus que le service civique est une magnifique idée, et qu’il faut le généraliser.

Oui à l’élargissement massif du Service Civique et Oui au Service Civique Universel ! Comme vous le savez pour l’avoir soutenu depuis votre prise de fonction, et même avant dans votre département, le service civique, tel que prévu par la loi de mars 2010 (votée d’ailleurs à l’unanimité ou presque de notre classe politique), est en train de rendre peu à peu naturelle l’idée que chacun d’entre nous consacre 6 à 12 mois de sa vie à servir l’intérêt général… au sein d’associations, de collectivités locales, ou encore d’établissements publics, en France ou à l’étranger. Une vraie étape de vie consacrée à servir l’intérêt collectif et à découvrir l’autre dans sa différence, à réapprendre le vivre ensemble, et pour certains jeunes, à découvrir le plaisir de l’engagement citoyen, tout en développant des compétences sociales et humaines qui ne s’apprennent pas sur les bancs de l’école. L’Etat apporte aujourd’hui le soutien de base nécessaire à son fonctionnement : un statut reconnu avec une indemnité financière, une couverture sociale et retraite pour les jeunes, et une petite contribution aux frais de recrutement, encadrement et formation, par ailleurs supportés par les structures qui les accueillent.

Ce service civique devrait mobiliser en 2015, grâce à votre engagement, 45 000 jeunes. Il est aujourd’hui plébiscité par les associations et les collectivités, qui proposent un nombre croissant de missions, comme par les jeunes eux-mêmes, qui sont 4 à 5 fois plus nombreux à candidater qu’il n’y a de missions proposées…

Nous louons votre souci de généraliser l’engagement civique en France, en proposant aux jeunes d’autres formes d’engagement citoyen, de quelques heures ou de quelques mois. Comme vous, nous sommes convaincus qu’il faut valoriser ces jeunes qui s’engagent dans des actions bénévoles ou des formes plus courtes de volontariat, par exemple pendant leurs vacances. Comme vous, nous sommes convaincus qu’il faut valoriser cette « France qui s’engage » et qui innove au service de l’intérêt général. Comme vous, nous sommes convaincus qu’il faudrait sans doute même sensibiliser à l’engagement dés le plus jeune âge, en intégrant aux heures d’éducation civique des « heures de service à la collectivité », comme le font bon nombre de pays et d’écoles dans le monde. Mais nous sommes également convaincus que vous ne devez pas, que vous ne pouvez pas, à l’aune de cette volonté tout à fait louable, dégrader, voire sacrifier, le Service Civique de qualité que vous avez vous même défendu haut et fort depuis 2012, et qui permet aujourd’hui à des dizaines de milliers de jeunes chaque année de rebondir, de regagner confiance en eux et en la société, justement parce qu’ils reçoivent tout en donnant…

Car « assouplir » le service civique, en réduire la durée, supprimer la petite indemnité remise actuellement aux jeunes, c’est signer son arrêt de mort. C’est renoncer à l’ambition qui était celle des parlementaires en le créant. C’est dire que le vivre ensemble, la construction sociale, citoyenne et personnelle des jeunes dans notre société de plus en plus complexe, ne peut justifier les quelque 430 millions d’euros qui seraient nécessaires pour que l’état apporte sa contribution au financement de ces 100 000 jeunes que vous vous êtes engagés, depuis 2012, à mobiliser chaque année à partir de 2017. C’est renoncer à l’engagement que vous avez pris vis à vis des jeunes et de notre société depuis 2012 sur le sujet !

Monsieur le Président, nous savons vos intentions louables. Nous vous supplions d’éviter le piège de la précipitation et de la course aux chiffres. Allez plutôt au bout de vos engagements : rendez le Service Civique Universel en veillant à ce qu’un financement suffisant soit durablement affecté pour que le service civique tel qu’il a été testé, éprouvé, et tel qu’il est aujourd’hui soutenu par les jeunes et les associations, soit connu et accessible à tous les jeunes, même les moins diplômés et les plus éloignés de l’engagement. En veillant à ce qu’il soit bien l’étape de mixité sociale que le législateur a prévu qu’il soit. Quand les 100 000 jeunes qui chaque année souhaitent donner 6 à 12 mois pourront le faire, il sera toujours temps de prévoir le référendum évoqué début novembre, et en cas de généralisation, de réfléchir aux éléments de souplesse nécessaire pour l’étendre aux 800 000 jeunes d’une classe d’âge.

Car l’objectif du service civique est bien qu’un jour il devienne naturel que tous les jeunes consacrent une étape de leur vie à servir la collectivité et à réapprendre le « bien vivre ensemble » dans le respect des différences, de croyances et d’origines. Qu’il soit, après la suppression du service militaire, l’un des éléments fondateurs de ce nouveau Pacte civique que nous avons à bâtir en commun.

Notre société en a bien besoin. Nous comptons sur vous.

Premiers signataires de la lettre ouverte:
Geneviève Ancel, « Dialogues en Humanité »
Max Armanet, journaliste, auteur du livre « Manifeste pour un Service Civique Universel et Obligatoire »
Laurence Baranski, consultante en entreprise, Etats Généraux du Renouveau
Nadia Bellaoui, présidente du Mouvement Associatif
François Benthanane, fondateur de Zup de Co
Stéphane Billiet, entrepreneur, président de l’agence We Agency
Carole Da Silva, présidente fondatrice de l’AFIP (association pour l’insertion des jeunes diplômés issus de la diversité)
Jean-Paul Delevoye, président du Conseil Economique, Social et Environnemental
Antoine Dulin, membre du bureau du CESE au titre des organisations étudiantes et mouvements de jeunesse, ancien délégué national des scouts et guides de France
Jean-Baptiste de Foucauld, porte-parole du Pacte civique, ancien Inspecteur Général des Finances
Gilles Mirieu de Labarre, président de Solidarités Nouvelles face au Chômage
Jean Frebault, membre du bureau de la Coordination Nationale des Conseils de Développement
Hugues Sibille, président du Labo de l’ESS
Marie Trellu-Kane, co-fondatrice d’Unis-Cité, co-auteur du livre « Demain, le service civil »
Patrick Viveret, philosophe

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